Sous l'Ancien Régime, depuis la fin du XVIIe s., il n'existait plus qu'un seul régiment de cuirassiers : le 8e de cavalerie, dit « des cuirassiers du roi ». C'est Napoléon Bonaparte qui, en 1802, décida de doter de nouveau certains régiments de grosse cavalerie de la cuirasse complète. L'année suivante, douze régiments de cuirassiers furent créés et prirent rapidement la marque des soldats d'élite depuis Louis XIV : la peau d'ours, non pas en bonnet comme pour les carabiniers ou les grenadiers de la Garde, mais en bandeau autour du casque... Pour être admis au sein de ces troupes d'élite, il fallait remplir des conditions particulières : entre autres, mesurer au moins 1,73 m ; avoir fait trois campagnes, etc. En 1809, grandes nouveautés : furent formés deux autres régiments de cuirassiers, auxquels s'ajoutèrent les deux régiments de carabiniers, élite de l'élite, désormais pourvus d'une magnifique cuirasse cuivrée et d'un étincelant casque de cuivre surmonté d'une chenille de crin rouge ! Surtout, chez tous les cavaliers, l'habit à la française fut remplacé par un habit-veste plus fonctionnel, à basques très courtes, blanc et bleu ciel à parements rouges ou bleus pour les carabiniers, bleu foncé à parements de différentes couleurs selon les régiments pour les cuirassiers. Seuls les trompettes, par respect d'une très vieille tradition, ne portaient pas de cuirasse, mais une sorte de dolman abondamment garni de brandebourgs et agréments en galon de la livrée de l'Empereur.
Comme leur nom le suggère, les cuirassiers, grands gaillards juchés sur de puissants chevaux, bottés et bardés de cuir, étaient protégés par une cuirasse (modèle 1804 amélioré 1807, puis 1812) formée d'un plastron (avant) et d'une dossière (arrière) en tôle de 2,8 mm d'épaisseur, attachés à la taille et reliés aux épaules par des bretelles de cuir recouvertes d'écailles de laiton et garnis de soixante-huit boutons également en laiton. Pesant environ sept kilos, elle était doublée d'une matelassure rembourrée de crin. Si elle assurait une assez bonne protection contre les coups de sabre ou de baïonnette et même contre les éclats ou la mitraille, elle n'était toutefois pas très efficace contre une balle de fusil tirée à moins de quarante mètres. Les cuirassiers portaient aussi un fort casque métallique (avec visière, couvre-nuque, protège-joues et mentonnière) surmonté d'un cimier, d'un plumet et prolongé par une crinière (le tout pour en imposer à l'adversaire !).
L'arme offensive de base du cuirassier était le sabre droit de grosse cavalerie (modèle an IX) appelé vulgairement « latte », car long (lame de 98 cm), large et assez lourd : davantage destiné à frapper ou à piquer qu'à croiser. Afin de se défendre contre les armes à feu, le cuirassier était également doté de deux pistolets d'arçon (modèle an IX, puis an XIII, calibre 17 mm, env. 35 cm) et même, lors de la campagne de Russie (où il pouvait se trouver isolé en rase campagne), d'un mousqueton (modèle an IX, calibre 17,5 mm, env. 1,10 m).
Normalement voués à la charge massive et brutale (soit en rupture d'infanterie, soit en contre-attaque de cavalerie), les régiments de cuirassiers (articulés en quatre ou, de 1806 à 1809, cinq escadrons de cent à deux cents cavaliers répartis en compagnies et pelotons) étaient groupés par trois, puis par deux, en brigades. Deux brigades, avec une batterie à cheval (une pièce par régiment), constituaient une division. Les divisions de grosse cavalerie (carabiniers et cuirassiers), dont le nombre varia de deux à quatre, formaient la cavalerie de réserve que l'Empereur pouvait lancer presque en bloc, comme à Eylau, pour faire la décision au terme d'une bataille indécise...
Citons ce dernier : Les carabiniers et les cuirassiers sont seuls en mesure de créer l'événement par l'action de choc massive et brutale. Les cuirassiers sont plus utiles que toute autre cavalerie [...] Leurs charges sont bonnes également au commencement, au milieu et à la fin d'une bataille [...] sur les flancs d'une infanterie engagée de front [...] ou pour soutenir la cavalerie légère et la cavalerie de ligne.
Notons à ce point que, contrairement à ce qu'on voit dans le film Le colonel Chabert, les charges de cavalerie étaient plutôt lentes et s'effectuaient au trot (le galop n'étant pris que pour les cent à deux cents derniers mètres) : il fallait en effet à la fois garder un certain alignement pour accroître la violence du choc final et ménager les chevaux qui devaient pouvoir charger jusqu'à dix ou quinze fois ( ! ) dans un long mouvement de flux et de reflux. Montures et cavaliers, chargeant un front de troupes, devaient tout d'abord essuyer le tir de l'artillerie (à boulets à partir de huit cents mètres, puis à mitraille en deçà de quatre cents mètres), ensuite affronter la fusillade de l'infanterie (en deçà de cent mètres) et, en évitant leurs compagnons culbutés, se jeter contre son mur de baïonnettes ! Enfin, en théorie, car, en pratique, les chevaux refusaient de venir s'empaler sur ces dernières et, pour disloquer un carré, il fallait coordonner les attaques de cavalerie avec les tirs à mitraille de l'artillerie à cheval et les feux précis des tirailleurs. Les centaures sabraient alors les fantassins ennemis à coups répétés. S'ils ne réussissaient pas à percer, ils se repliaient sur les ailes pour reformer leurs escadrons qui repartaient à la charge dans les hurlements et les sonneries de trompettes.
Les cuirassiers s'illustrèrent sur la plupart des champs de bataille de l'épopée napoléonienne. Mentionnons quelques actions d'éclat, notamment au cours des batailles inscrites sur l'étendard du 12e cuir.
En 1805, à Austerlitz, les cuirassiers, par trois charges successives, enfoncèrent et disloquèrent les forces du prince de Liechtenstein (Autriche) avant de contre-attaquer et de culbuter, avec les grenadiers à cheval de la Garde, la grosse cavalerie russe, réputée la meilleure d'Europe.
En 1806, à Iéna, la cavalerie de réserve, commandée par Murat, transforma la retraite des Prussiens en une fuite éperdue...
En 1807, à Eylau, alors que la bataille, entre une armée impériale éloignée de ses bases et un adversaire russe plus nombreux, demeurait indécise, l'Empereur (Murat, nous laisseras-tu dévorer par ces gens-là ?) lança toute sa cavalerie disponible (soit une cinquantaine d'escadrons, dont les cuirassiers d'Hautpoul) dans la boue glacée et la neige fondue en plein brouillard ! La charge, très coûteuse, fut néanmoins irrésistible...
La même année, à Friedland, les cuirassiers de Nansouty, dont certains régiments chargèrent plus de quinze fois ( ! ), causèrent à l'ennemi des pertes terribles...
En 1809, à Eckmühl, chargeant sans relâche jusqu'à la nuit, les cuirassiers mirent l'armée adverse en déroute et la poursuivirent au clair de lune. Napoléon écrivit au ministre de la Guerre : « Les cuirassiers me rendent des services inappréciables. »
La même année, à Essling, la grosse cavalerie française se dépensa sans compter au prix de lourdes pertes. Les cuirassiers de Nansouty et d'Espagne se couvrirent de gloire...
Toujours en 1809, la bataille de Wagram fut gagnée grâce à l'engagement de toute la réserve de cavalerie.
En 1812, en Russie, cette réserve, aux ordres de Murat, comprenait quatre corps composés chacun d'une division légère et de deux divisions de carabiniers, cuirassiers ou dragons, soit environ quarante mille cavaliers qui firent des prodiges d'héroïsme tout au long de cette terrible campagne. Deux exemples. Au début, à Borodino, sur la Moskowa, les grosses cavaleries des deux adversaires se livrèrent un combat acharné : les Russes durent finalement se replier et furent poursuivis jusqu'à Moscou. Au terme de la catastrophique retraite, lors du célèbre passage de la Bérézina, les débris des divisions de cuirassiers tinrent ferme et permirent aux restes de la Grande Armée de franchir les ponts lancés par les sapeurs de la Garde. Malgré leur épuisement et leur dénuement, les cuirassiers (brigade d'Oullembourg, division Doumerc) eurent la discipline d'astiquer casques et cuirasses ! Les cavaliers russes en furent frappés de stupeur... C'est alors que des fantômes amaigris, flottant dans leur cuirasse et chevauchant des haridelles, chargèrent furieusement dans l'éclatement des trompettes : les Russes se débandèrent en laissant plus d'un millier de morts... C'était la dernière charge de la cavalerie impériale en Russie.
En 1813, contre les Autrichiens, Murat et la cavalerie de réserve firent merveille : enfoncée, disloquée, sabrée, cernée ou poursuivie, l'infanterie ennemie perdit cinq mille tués et plus de dix-huit mille prisonniers.
En 1814, sur le territoire national envahi, les deux mille cavaliers de Nansouty battirent souvent un ennemi bien plus nombreux, mieux monté et instruit.
Enfin, en 1815, au cours de la campagne de Belgique, lors de la victoire de Ligny contre les Prussiens, le cheval de Blücher lui-même s'abattit au milieu d'une charge vigoureuse du 9e cuirassiers. Deux jours plus tard, à Waterloo, le même régiment, accompagné du 6e, ramena la cavalerie de la garde anglaise « l'épée dans les reins ». Et, pendant plusieurs heures, dans les pires conditions de terrain (pentes boueuses d'un plateau), près de six mille carabiniers, cuirassiers et dragons, soutenus par près de quatre mille cavaliers de la Garde, se précipitèrent sur les carrés anglais et alliés encore intacts, peu bombardés, bien pourvus en artillerie et organisés en profondeur derrière les chemins creux et les crêtes. Le tir dense et précis des excellents canons et fusils britanniques fit des ravages parmi les cavaliers trop concentrés. Pourtant, à force d'acharnement (certains escadrons chargèrent seize fois !), les carrés ennemis furent ébranlés, pénétrés, pourfendus, amenuisés. Si l'Empereur avait disposé de l'infanterie d'élite qui contenait l'irruption prussienne sur les arrières, l'armée anglaise eût été bel et bien battue... En tout cas, les officiers alliés furent unanimes à souligner la bravoure et l'allant des cuirassiers français qui, sabre à la main, s'élançaient vers la mort surgissant des bouches à feu.
En conclusion, citons les propos du commandant en chef des armées anglo-hanovrienne et hollando-belge, Wellington lui-même, qui déclarait à ses officiers après Waterloo : Messieurs, vous ignorez peut-être quelle est actuellement la meilleure cavalerie d'Europe ? C'est la plus mal montée de toutes : la cavalerie française ! Depuis que j'ai eu personnellement à soutenir les effets de son audace et de sa détermination, je n'en connais aucune qui soit capable de la surpasser.
ORGANISATION FONCTIONNELLE :
1) CAVALERIE LEGERE : HUSSARDS pour la reconnaissance et CHASSEURS pour la poursuite.
2) CAVALERIE DE LIGNE : DRAGONS en soutien de la cavalerie légère, tête de pont (à pied) et LANCIERS en appui direct.
3) GROSSE CAVALERIE : CARABINIERS et CUIRASSIERS en soutien de la légère, de la ligne et pour créer l'« événement » (rupture d'un front).
Sinom un exposé complet de tactique de cavalerie a lire sur :
http://www.histwar.com/screenshots/pdf/tactiques_cavalerie.pdf