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| La garance, l'indigo et le pastel ou pourquoi les uniformes français étaient si voyants en 1914 | |
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De Soubise Visiteur
Carnet militaire. Affecté : Réserviste
| Sujet: La garance, l'indigo et le pastel ou pourquoi les uniformes français étaient si voyants en 1914 Lun 13 Aoû - 19:03 | |
| J'ai traité l'an dernier pour un exposé d'histoire des sciences, les évolutions de la chimie dans le monde des pigments. Cela m'a amené à étudier les raisons pour laquelle les uniformes français étaient obsolètes en 1914 alors que TOUS les autres pays les avaient mis à jour.
Mon exposé couvrait une période plus grande mais voici une partie intéressante pour la section histoire du forum.
La garance, l'indigo et le pastel ou pourquoi les uniformes français étaient si voyants en 1914
En août 1914 ont lieu les premiers engagements d'une guerre qui durera 4 ans et fera plus de 20 millions de morts. Dans ces premiers engagements une armée se distingue de toutes les autres : l'armée française. Le courage et le panache ne lui manquent pas, elle pratique « l'attaque à outrance » tactique consistant à charger en rangs serrés... face à des mitrailleuses allemandes et tout ceci dans de magnifiques uniformes bleus et rouges.
L'uniforme en question date de 1870, de toutes les armées en ce début de guerre, l'armée française est la seule à se battre dans des uniformes voyants. Ayant appris de la guerre des Boers 30 ans plus tôt où les britanniques en uniformes rouges s'étaient retrouvés particulièrement vulnérables face à une guérilla équipée de fusils modernes capables dit-on entre les mains d'un tireur expérimenté de toucher un oeuf à 100 mètre, les autres armées avaient adoptées des uniformes aux teintes plus sobres (gris, kakis, marron, beige). Pour comprendre cet anachronisme, il faut parler de teinture.
La France a une vieille histoire avec le bleu. Certaines couleurs sont très difficiles à obtenir par des moyens issus de la nature, le bleu en fait partie. Durant l'antiquité, certaines régions étaient connues pour leurs production de couleur. La plus estimée est la pourpre de Tyr dont se vêtaient les empereurs romains mais également les magistrats et les sénateurs (qui avaient une bande pourpre sur leur toge), de l'autre côté du monde c'est le jaune qui est la couleur impériale.
Le bleu quant à lui est obtenu dans 4 régions distinctes. La première région est l'Inde, on y trouve l'indigotier, arbre dont la culture est attestée depuis maintenant 4 000 ans. On en récupère les feuilles que l'on laisse macérer un certain temps, on y ajoute ensuite une base et procède au séchage pour obtenir une poudre bleue.
La seconde zone correspond au monde celte qui cultive la guède, aussi appelée pastel des teinturiers. Les feuilles sont récoltées, broyées, laissées à fermenter et oxydées avec de l'urine, l'écume de ce charmant mélange est récupérée et séchée. La poudre bleue obtenue sert de pigment. Il faut environ 1 tonne de pastel pour produire 2 kg de pigment. Dans le monde romain, le bleu est une couleur détestée car couleur des barbares qui s'en recouvrent le corps pour partir au combat. Cette pratique impressionne beaucoup les légionnaires romains qui conçoivent une « peur bleue » de ces guerriers à la peau bleu glacial semblant quelque peu surnaturelle.
La culture du pastel des teinturiers va faire notamment la richesse des régions de Toulouse, Albi et Carcassonne. Sa culture sera concurrencée et abandonnée avec la découverte du Nouveau-Monde. L'indigo y est cultivé par les mayas et sa culture sera reprise par les colonisateurs. L'esclavage et une plante au pouvoir tinctorial 20 fois supérieur rendra cette culture très rentable et celle du pastel obsolète. Le port Bordeaux sera un grand bénéficiaire de ce nouveau commerce tandis que les régions précédemment citées verront une grande source de richesse se tarir.
Les deux autres zones sont l'Afghanistan où l'on trouve des mines de lapis-lazuli (très prisé jusqu'au XIXe siècle, son prix dépassait celui de l'or) et l'Égypte où l'on fabrique des verres bleutés par divers ajouts et qui sont ensuite réduits en poudre puis utilisés comment pigments. Pour la petite histoire, en 1828 Jean-Baptiste Guimet donnera le moyen de synthétiser à moindre coût le lapis-lazuli, la France deviendra maîtresse de sa fabrication comme pigment.
Passons au rouge, il est également difficile à produire. Les moyens les plus anciens connus sont le cinabre (sulfure de mercure, minerai utilisé comme enduit pour les murs intérieurs car il noircit au soleil et comme rouge à lèvre), la cochenille très utilisé au moyen-orient et la racine de la garance.
Si la culture de cette dernière est pratiquée un peu partout en Europe, elle est principalement dominée par les hollandais. Il faudra attendre Colbert , le ministre de Louis XIV qui, cherchant à limiter les sorties monétaires du pays, va créer de nombreuses industries comme les très connues soieries lyonnaises (Colbert est lui-même issu d'une famille de drapiers) mais aussi des industries tinctoriales comme celle de la garance, les régions du sud vont particulièrement en profiter. Cette industrie connaître un grand développement avec le blocus continental et qui se poursuivra pendant près de 50 ans. Pour illustrer la performance française en ce domaine, le département du Vaucluse couvrira jusqu'à 65% de la production mondiale de garance dans les années 1860.
De la même façon que la chimie minérale a bouleversé le monde du lapis-lazuli, la chimie organique, elle, va bouleverser celui de l'indigo et de la garance.
Nous sommes en 1856, l'industrialisation bat son plein en Angleterre. L'invention de la machine à vapeur a amené à la consommation d'énorme quantité de charbon et de notamment de coke. La production de cette dernière donne de nombreux résidus dont des goudrons, c'est tout naturellement que les chercheurs se mettent à étudier ces substances dans le but de les valoriser. L'un d'entre eux, William Henry Perkins, 18 ans, cherche à en faire un médicament : la quinine. En faisant réagir de l'aniline et du dichromate de potassium il obtient une pâte goudronneuse qui n'est pas le résultat souhaité. En récurant sa verrerie, il utilise de l'alcool en espérant diluer ce résidu et là surprise : une belle couleur mauve apparaît. L'histoire raconte d'ailleurs qu'il en renverse accidentellement sur sa blouse et le constat est sans appel : la blouse est définitivement mauve (et foutue).
Perkin dépose immédiatement le brevet et monte son usine. Les colorants organiques de synthèse sont nés. Il se trouvera 2 grandes sponsors : la reine Victoria qui perçoit l'utilité pour son pays et l'impératrice Eugénie pour qui le mauve va bien avec ses yeux.
C'est la ruée vers les colorants organiques et 3 pays ont la technologie et les moyens d'avoir la suprématie : la France, l'Allemagne et l'Angleterre. La France a quelque succès avec les découvertes (et brevets) de la fuchsine (fuschia donc) par Verguin et du bleu de Lyon par Monnet et Dury. L'Angleterre quant à elle voit massivement les chercheurs allemands affluer pour étudier dans ses laboratoires auprès de Perkins et de son mentor Hoffman. Le jaune et le marron s'ajoutent à son panel de couleur.
Dans les années 1865, les chimistes allemands retournent en Allemagne monter leurs propres usines. Chaque petit état allemand ayant ses propres lois, y contourner les brevets est chose aisée et les usines de synthèse du substance organiques y fleurissent. Une autre particularité de la loi allemande est que les brevets concernent la méthode de production là où les brevets français et anglais concernent la substance. Un industriel français ou anglais possédant le brevet d'une substance dispose d'un monopole sur celle-ci tandis qu'un allemand est sans cesse relancé par ses concurrents qui cherchent de nouvelles méthodes ou des perfectionnement pour produire plus et à moindre coût. Cette époque voit l'émergence du groupe allemand BASF (leader mondial actuel de l'industrie chimique).
BASF avec notamment le chercheur Adolf Von Bayer va se lancer dans la recherche des structures de substances déjà existantes comme l'alizarine (présente dans la racine de garance) et l'indigotine (présente dans l'indigo). Ces recherches sont des investissements coûteux, ambitieux et surtout dangereux (elles s'étalent sur des années) mais s'avèreront payantes. En 1869 l'alizarine est synthétisée, l'indigotine mettra plus de temps mais verra sa synthèse finale brevetée en 1890 (20 ans après que sa formule ait été découverte).
Au début du siècle, l'Allemagne domine l'industrie des colorants synthétiques, elle a détrôné l'Angleterre et la France ne les a rejointe à aucun moment. Elle produit de l'alizarine 2 fois moins cher que par voie naturelle mais surtout en grande quantité, atout non-négligeable pour son industrie textile.
Pour empêcher son industrie des colorants naturels de s'effondrer, le gouvernement français va alors offrir des contrats privilégiés à ses producteurs. Il achètera plus cher que sur le marché ses pantalons garance et ce même alors qu'ils sont obsolètes. Alors que tous les autres pays sont passés aux colorants synthétiques et à des couleurs neutres, les français sont dans leur uniforme traditionnel flamboyants et naturels.
Pour ne pas changer, la guerre 14-18 remettra au goût du jour le pastel des teinturiers, plus facile à produire désormais (l'agriculture est alors plus performante que 4 siècles plus tôt et des substances plus efficaces que l'urine sont utilisées) et en plus grande quantité considérant les besoins urgents de l'armée française. C'est la teinture des fameux uniformes « bleu horizon ». | |
| | | De Oudinot Admin
Carnet militaire. Affecté : Etat-Major
| Sujet: Re: La garance, l'indigo et le pastel ou pourquoi les uniformes français étaient si voyants en 1914 Mer 15 Aoû - 7:19 | |
| ah patriotisme quand tu nous tiens merci Soub | |
| | | De Murat Officier de combat
Carnet militaire. Affecté : Etat-major
| Sujet: Re: La garance, l'indigo et le pastel ou pourquoi les uniformes français étaient si voyants en 1914 Mer 15 Aoû - 17:26 | |
| En août 1914, les fantassins français portent encore les pantalons rouge garance depuis 1829 et une capote gris de fer bleuté fermée par deux rangs de boutons (modèle 1877). Le pantalon est enserré au niveau des mollets par des guêtres en cuir lacées. Il est chaussé de brodequins en cuir avec semelles cloutées. Le ceinturon porte trois cartouchières en cuir et la baïonnette dans son fourreau. Le képi (modèle 1884) à turban garance et bandeau bleu, est recouvert, en campagne, d'un couvre-képi bleu (véritable cible pour l’ennemi qui occasionnera de multiples blessures à la tête entraînant souvent la mort). Le havresac est un sac de toile cirée renforcé par un cadre en bois sur lequel sont arrimés plusieurs équipements collectifs ou individuels, il pèse entre 25 à 30 kg, une musette en toile complète l'ensemble. L'uniforme, très proche de celui porté pendant la guerre de 1870 reste très voyant. La plupart des grandes armées européennes ont déjà adopté des couleurs discrètes pour leurs tenues de campagne (les Britanniques, les Russes, les Italiens, les Allemands). Ces soldats délaisseront le nom de grognard pour porter celui de Pioupiou en raison de leur jeunesse. Le nouvel uniforme adopté en 1915. En août 1915, un nouvel uniforme bleu clair est adopté. La capote retrouve un boutonnage croisé qui protège davantage les soldats et les bandes molletières (longueur 2.60 m) remplacent les guêtres en cuir. Il est muni de poches renforcées pour stocker des munitions ou des petits objets. Cet uniforme, vite appelé «bleu horizon», n'est pas généralisé avant l'automne 1916. Toutes les troupes métropolitaines et coloniales perçoivent cette tenue sauf les troupes de l'armée d'Afrique qui reçoivent des tenues de couleur kaki tirant sur le jaune moutarde. Pour protéger la tête des soldats, l'État- major fait distribuer 700 000 cervelières (calottes métalliques) entre février 1915 et fin 1915, à placer sous le képi. Ces calottes constituent une protection peu pratique et inopérante, finissant souvent en ustensiles de cantine. Le casque Adrian, métallique, commence à doter les unités à partir de septembre 1915 en remplacement des cervelières. Ces soldats prendront le nom de poilus, en raison de leur tenue négligée, car maintenant les tranchées sont là et l’hygiène n’est pas là. De gauche à droite : sous-officier bavarois vers 1915 et fantassin 1916-1918. Parmi les objets exposés, au premier plan Minenwerfer 1915, divers modèles de téléphones de campagne, "norvégienne" pour transporter de la nourriture sur le dos, et forge de campagne... uniforme anglais le plus moderne de sont époque | |
| | | De Murat Officier de combat
Carnet militaire. Affecté : Etat-major
| Sujet: gg Mer 15 Aoû - 17:28 | |
| GG DE SOUBISE TRES INTERESSANT | |
| | | De Soubise Visiteur
Carnet militaire. Affecté : Réserviste
| Sujet: Re: La garance, l'indigo et le pastel ou pourquoi les uniformes français étaient si voyants en 1914 Jeu 16 Aoû - 19:11 | |
| Notons qu'une section période pré-napoléonienne pourrait être intéressante. Là je l'ai mis dans napoléon parce que c'était la période la plus récente proposée.
Et je ne pense pas que le choix de sauver les industries traditionnelle de garance était du patriotisme, enfin sauf si tu veux vraiment sauver les meubles. C'était clairement un interventionnisme mal éclairé, ça a sauvé temporairement des emplois mais ça s'est révélé désastreux pour les vies des poilus en 1914 (en plus d'un gaspillage d'argent public mais c'est le moins important ça).
Avec un regard contemporain, ça paraît complètement invraisemblable. Faut pas se leurrer, quand avec une nouvelle technologie tu arrives à produire deux fois moins cher un produit et en plus grande quantité, les autres producteurs sont foutus à moins qu'ils ne trouvent les moyens de faire pareil ou mieux.
Je me demande dans un siècle ce que les gens diront de notre situation actuelle... | |
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