« Faites donner la Garde. » Tels furent les mots de l’Empereur Napoléon Ier, ce 8 février 1807, dans le petit village d’Eylau, en Prusse orientale. À ces mots, et pour la première fois depuis sa création, la colonne de grenadier à pied de la Garde s’élance, baïonnettes en avant, pour déloger les soldats Russes du cimetière du village dans un gigantesque corps-à-corps meurtrier. Ces hommes, ces grenadiers, sont l’épine dorsale de la Grande Armée, ses meilleures troupes, qu’ils fassent partie de la Garde ou non. À l’origine formés pour lancer des grenades – d’où leur nom –, les grenadiers sont vite devenus les soldats d’élite par excellence, dans toutes les armées modernes.
Origines et recrutement
Le grenadier est, à l’origine, un soldat spécialisé dans le maniement des grenades, de simples sphères remplies de poudre équipées d’une mèche pour la mise à feu. Ils apparaissent pour la première fois au XVIIe siècle, d’abord en Autriche et en Espagne, puis en Angleterre durant la première Révolution Anglaise (1641-1649). En France, il faut attendre 1667 pour que le grenadier devienne officiellement un soldat à part entière. Une compagnie de grenadiers est d’ailleurs formée au sein du Régiment du Roi. Ce sont des troupes de choc, utilisées dans la guerre de siège pour exploiter les brèches dans les fortifications.
Tout le monde ne peut pas devenir grenadier. D’abord, il faut mesurer au moins 1m80, ce qui est rare pour l’époque, et être de robuste constitution, pour pouvoir lancer la grenade assez loin sans risquer de se blesser soi-même ou bien ses camarades avec son projectile. En plus d’une bonne condition physique, le grenadier à pied doit posséder des nerfs d’acier : se battant en ligne ou en colonne comme les autres soldats, les grenadiers doivent s’approcher suffisamment près de l’ennemi pour pouvoir allumer leur grenade, attendre que la mèche soit suffisamment consumé pour pouvoir la lancer sans que l’ennemi ait le temps de la renvoyer, tout cela sous les balles ennemies. Pour ces raisons, les grenadiers ont vite été considérés comme des soldats d’élite, restant en position là où le simple soldat aurait fuit.
Emploi tactique des grenadiers
grenadierTrès vite, l’utilisation de la grenade se fait rare : d’abord, parce que son utilisation est coûteuse en vies humaines pour des résultats mitigés. De plus l’évolution des méthodes de combat de l’infanterie de ligne, comme le feu sur trois rangs rend d’autant plus obsolète l’utilisation de cette arme. Néanmoins, la fonction va survivre et les grenadiers vont devenir des troupes d’élite, n’utilisant que peu ou pas du tout la grenade. Chaque nation ou presque se dote de soldats d’élite appelés grenadiers : Grenadiers de Posdam – dissout par Napoléon en 1806 après sa victoire sur la Prusse –, la Garde Impériale de l’Empereur Napoléon le Grand, le Régiment de grenadiers de la Garde impériale Russe, les Grenadiers Guards anglais, les Granatieri di Sardegna du royaume de Sardaigne, ou encore le 101e régiment de grenadiers de l’armée des Indes anglaises.
En France, durant la Révolution et l’Empire, chaque bataillon – de 300 à 1200 hommes – d’infanterie de ligne dispose d’une compagnie – 100 à 250 hommes – de grenadiers d’élite.. Les grenadiers suscitent l’émulation parmi la troupe, ce qui pousse chaque homme à donner le meilleur de lui-même pendant la bataille, pour peut-être être remarqué par un officier et avoir la chance d’intégrer une compagnie de grenadiers. La solde et l’équipement y était supérieurs, notamment avec le port du sabre, grande distinction, alors que les soldats de ligne doivent se contenter de la baïonnette. Leur rôle est donc primordial. L’Empereur Napoléon l’a bien compris, et l’exprime très clairement dans sa Correspondance : « [...] Supprimer les grenadiers, c’est supprimer un des grands moyens d’émulation de l’armée. » Ainsi va-t-il constamment mettre en valeur « ses » grenadiers, et notamment ceux qui composent la célèbre Garde Impériale.
Exemple de grenadiers d’élite : les grenadiers de la Garde Impériale
Grenadiers à pied de la Garde impériale.
Grenadiers à pied de la Garde impériale.
La Garde Impériale naît en 1804 et remplace la Garde Consulaire. Elle se compose des plus valeureux soldats de la Grande Armée et ses effectifs ne cessent d’augmenter, passant de moins de 10 000 hommes en 1804 à 112 000 hommes en 1814. À son apogée, la Garde compte 5 régiments de grenadiers : le 1er régiment de grenadiers à pied de la Garde Impériale – qui, avec le 1er régiment de chasseurs à pied, compose la Vieille Garde –, les 2e, 3e et 4e régiments de grenadiers à pied de la Garde impériale formant la Moyenne Garde. Le recrutement est très strict : pour entrer dans la Garde en tant que grenadier, il faut mesurer au moins 1m83, avoir servi 10 ans dans l’armée pour intégrer le 1er régiment, 8 pour intégrer le second. Il faut également avoir eu au combat un comportement irréprochable, avoir de bonnes mœurs et savoir lire et écrire. La Garde est raffinée, on se vouvoie et on s’appelle « Monsieur », le port de la moustache est obligatoire, ainsi que des pattes ou favoris, les châtiments corporels y sont interdits.
La fonction principale des grenadiers de la Garde est d’assurer la protection de l’Empereur et ils sont placés sous son commandement direct. Malgré le fait que ce soit une unité combattante, il est rare qu’elle prenne part au combat. Son rôle est, comme dit précédemment, d’assurer la cohésion des troupes, de remonter leur moral par leur simple présence et leur comportement. Elle est grandement favorisée et possède de nombreux privilèges, comme de magnifiques uniformes de parade, qu’ils portent lors de la bataille, par n’importe quel temps, en plus de leur célèbre bonnet en poil d’ours. La Garde est aussi mieux payée : un soldat de la ligne touche 0,55 francs par jour, alors qu’un grenadier de la Garde touche 1,16 francs, plus qu’un sergent de ligne.
La Garde Impériale dispose d’une aura légendaire. Les soldats qui la composaient étaient redoutés par toutes les armées d’Europe, capables qu’ils étaient de se faire tuer sans broncher par un simple mot de l’Empereur en emportant avec eux nombre d’ennemis. En 1854, l’Empereur Napoléon III reformera la Garde Impériale, qui ne comptera plus alors que deux régiments de grenadiers qui s’illustreront notamment à Solférino en 1859.
De nos jours, les grenadiers sont similaires aux fantassins de par l’équipement. Cependant, le sentiment d’appartenir à un corps d’élite reste toujours vivace.
Sources : BONAPARTE Napoléon, COLSON Bruno, De la guerre, Perrin, 2011, p.163 ; VACHÉE Jean-Baptiste, Napoléon en campagne, Editions des Equateurs, 2012, 209
Nicolas Champion