J'ai parlé, je crois, à certains d'un exercice auquel je me suis plié ces derniers temps de fort mauvaise grâce qui est celui du rapport. J'ai horreur de ça, même si le sujet peut être passionnant. L'un d'entre eux notamment me fut particulièrement pénible car il traitait de faits se déroulant pendant la période révolutionnaire et me donnait envie de jouer à Napoléon : Total War.
La révolution française a été facteur de grands changements qui ont secoué l'Europe. Mue par une volonté d'universalité, elle a donné naissance à la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme qui est une grande avancée sociale, elle a donné naissance à une autre avancée, scientifique cette fois, le fameux Système Métrique Décimal.
Après quelques coupures, j'ai décidé de partager avec vous cette partie de mon rapport d'histoire des sciences.
(Un petit dessin animé qui résume tout aussi bien (pour ceux que ma prose ennuirait) :
http://www.lacartoonerie.com/cartoon/id1247866348_dessin-anime-naissance-metre
)
Le système métrique, un autre type de révolution : Avant d'aborder l'élaboration du système métrique décimal (SMD) il convient de décrire la situation antérieure à celui-ci. Mesurer consiste à établir un rapport entre deux grandeurs de même ordre : un étalon et la grandeur mesurée. Ainsi lorsque vous voyez sur un panneau que Carrefour est à 300 m, cela veut dire que ce magasin se trouve à une distance telle que l'on peut reporter 300 fois une règle d'un mètre.
Dès le moment où les civilisations sont apparues, elles ont eu besoin de mesures pour s'établir de façon pérenne. Une agriculture efficace a besoin d'un calendrier pour se situer dans les saisons, les armées ont besoin de connaître les distances entre les villes, la perception des impôts nécessite des mesures de poids et de surface cultivables.
Encore faut-il, après avoir consigné ces mesures, qu'elles soient utilisables. En France, nous utilisons le mètre pour mesurer les distances, si on nous donne une mesure en inch comme c'est utilisé dans les pays anglophones nous sommes bien embarrassés. Ce problème ne s'est pas posé durant de longues périodes, le système de mesure étant imposé par un pouvoir central plus ou moins fort. Les sumériens, les babyloniens, les égyptiens, les grecs, les romains avaient leurs étalons de mesures qui servaient sur toutes l'étendue du territoire contrôlé.
Les étalons étaient presque toujours des étalons à échelle humaine ou basés sur des phénomènes courants : le pas, la coudée, le jour etc... Les étalons physiques étaient religieusement conservés dans les temples sous forte garde. Il faut comprendre que de tels étalons étaient réellement les garants de l'ordre de ces civilisations : leur disparition constituait un "Babel métrologique".
L'éclatement de l'empire romain et le morcellement des royaumes au moyen-âge ont constitué ce Babel métrologique. Les mesures étaient aussi diverses que variées, aux définitions souvent complexes et variables.
Chaque corps de métier, disposait de son système de mesure propre : les tisserands avaient leurs mesure de longueur, les marins le leur (qui existe encore). On ne pesait pas les matières humides avec le même étalon que pour les matières sèches, les longueurs tissus avec les mêmes mesures de longueurs de construction de bâtiment etc...
Selon les régions, une unité avec la même définition avait une valeur différente, ainsi le journal (surface labourable en une journée) de Paris avait une valeur différente de celui de Bordeau ou de celui de Marseille.
Les différents pouvoirs royaux (dès Charlemagne) avaient essayé d'imposer un système unique sur leur territoire sans succès. Ce pouvoir étant détenu part la noblesse qui, sur son territoire, le changeait à sa guise pour en tirer des avantages économiques.
Les cahiers de doléance de 1789 font justement mention, face à cette complexité et les injustices qui pouvaient être perpétrées, d'une demande particulière concernant l'élaboration d'un nouveau système applicable partout dans le royaume
« Un Roi, une loi, un poids et une mesure ». Louis XVI a bien sûr les mains liées pour accéder à cette demande puisqu'il n'a pas le pouvoir de l'imposer à la noblesse qui fait barrage. Ce n'est qu'avec l'abolition des privilèges le 4 Août 1789 que l'entreprise peut être envisagée.
Le 16 Février 1791, Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord propose l'institution de 5 commissions afin de définir un nouveau système de mesure. La grande idée, tirée des philosophies de Lumières est de créer un système qui serait propre à tous les hommes. Le travail est confié à l'académie des sciences et de grands noms comme Lagrange, Lavoisier, Legendre, Condorcet Laplace ou Coulomb se penchent sur ce travail. Les idées sont multiples, pourquoi pas la longueur d'un pendule battant la seconde ? Cette idée est rejetée car un pendule d'une longueur donnée ne bat pas la même durée en différents points du globe.
C'est une autre idée qui est retenue. En effet, qu'ont de commun tous les hommes ? La Terre. Elle pourrait servir d'étalon.
Après plus d'un mois de débats, le 26 mars 1791, la chambre constituante décrète
"Considérant que, pour parvenir à établir l'uniformité des poids et mesures, il est nécessaire de fixer une unité de mesure naturelle et invariable et que le seul moyen d'étendre cette uniformité aux nations étrangères et de les engager à convenir d'un système de mesure est de choisir une unité qui ne renferme rien d'arbitraire ni de particulier à la situation d'aucun peuple sur le globe.... adopte la grandeur du quart du méridien terrestre pour base du nouveau système de mesures qui sera décimal ; les opérations nécessaires pour déterminer cette base, notamment la mesure d'un arc de méridien depuis Dunkerque jusqu'à Barcelone seront incessamment exécutées ". Ainsi un quart de méridien terrestre vaudrait 10 000 km, reste à effectuer sa mesure. Le choix de la distance Dunkerque-Barcelone à mesurer n'est pas un hasard. Les mesures astronomiques avaient établies qu'elles se trouvaient à 10° de méridien terrestre d'écart, en outre elles sont au niveau de la mer (même altitude donc).
La grande innovation de ce système est son aspect décimal. S'il est difficile de convertir de tête des heures en seconde à cause de la base 60 de ce système (une heure = 3600 seconde, c'est un héritage des babyloniens qui comptaient non pas par 10 mais par 60, au même titre que les 360° d'un cercle) convertir des kilomètres en mètres est d'une extrême simplicité. Les mesures de volumes qui en découlent sont le mètre-cube (qui vaut 1 000 litres) et le kilogramme (masse d'un litre d'eau à son minimum de densité, 4°C).
La valeur de l'étalon étant désormais à calculer, on charge Jean-Dominique Cassini, Adrien-Marie Legendre et Pierre Méchain d'effectuer les mesures de distance entre Dunkerque et Barcelone. Les deux premiers se désistent en faveur de Jean-Baptiste Delambre. Pour des raisons politiques liées à la Terreur puis à la guerre, ces mesures seront ajournées en 1792 et reprises en 1795. Louis XVI ayant été guillotiné, les révolutionnaires ne souhaitaient pas continuer d'utiliser comme unité de mesure le Pieds du Roy firent fabriquer des étalons provisoires (qualifié de mètrons) de platine-iridium, matière la moins altérable connue à l'époque à partir de mesures antérieures ( 1744 ).
La méthode de mesure de distance la plus précise de l'époque est la triangulation. Pour mesurer les grandes distances, il est peu envisageable et peur précis d'utiliser une règle. L'idée est simple : on peut tout savoir d'un triangle si l'on connait la valeur de l'une de ses arêtes et de deux de ses angles.
Nos deux scientifiques partent donc, l'un mesurer la distance Dunkerque-Rodez et l'autre Barcelone-Rodez. Armés de cercles répétiteurs, ils vont de clochers en clochers, de moulins en moulins, à travers la France et l'Espagne mesurer des angles et une courte distance de la façon la plus précise possible.
Un cercle répétiteur :Une carte de Delambre et Méchain :Les résultats de Delambre et Méchain sont analysés durant 3 mois par une commission internationale entre fin 1798 et début 1799 puis validés. D'après des estimations satellites plus récentes l'arc de méridien ferait en réalité 10 001,966 km, ce qui constitue une erreur d'environ 1,9 mm. Un nouvel étalon de platine iridiée (90% platine et 10% iridium) est réalisé (il est encore conservé au Pavillon de Breteuil à Sèvres), le mètre venait de naître.
Les conquêtes de Napoléon vont le diffuser chez nos voisins qui auront la sagesse de le conserver tandis que la Restauration l'abolira quelques temps. Aujourd'hui, le Système Métrique Décimal (SMD) a quelque peu évolué, il est devenu le Système International S.I., système le plus utilisé dans le monde et est appelé à être utiliser partout.
En effet, bien que les pays anglophones lui fassent de la résistance avec leur système impérial (établi par les britanniques), c'est le système utilisé dans les milieux scientifiques internationaux.